En ce jour  un résumé d'une histoire vécue de 1975 que je vous propose en une lecture tirée du livre de Pierre Bonte.

Mademoiselle Marie-Rose Longuève, cinquante huit ans de bons et loyaux services vit aujourd'hui le bonheur de ne plus obéir.

  _ Je suis retraitée des vieux travailleurs, j'ai été cinquante huit ans domestique dans les maisons bourgeoises, chez les personnes riches quoi.

La première place où j'ai débuté à Vitré dans mon pays, j'étais femme de chambre à la sous-préfecture chez monsieur Lucot, et y sont morts.

J'ai été sept ans chez monsieur Marchadier, le directeur du laboratoire municipal, il est mort.

J'ai été bonne chez monsieur Aublantin, tout ça, c'est mort.

  _ Vous avez été bonne en tout genre ?

  _ Gens de maison !

On n'est plus bonne à tout faire, c'est plus la mode, y paraît.

  _Expliquez-moi comment ça se passait dans ces maisons...

  _Ah ben vous savez, on parlait à la troisième personne, c'était un ordre, mais moi ça ne me coûtait pas.

  _Et aujourd'hui quelles sont vos activités ?

On dit que les personnes âgées s'ennuient.

  _Oui et ben c'est pas vrai, c'est parce qu'y sont feignantes.

Elles n'aiment que le club, des machins comme ça.

Moi j'y vais jamais, parce que j'aime la société, et j'aime beaucoup être seule, parce que la solitude est un bienfait.

La solitude est un bienfait pour le coeur, ça vous repose l'esprit.

On a besoin d'être seule monsieur quelquefois.

  _Mais à votre âge on aime bien  retrouver des amis.

  _Non ! Vive la solitude ! Moi je ne vais jamais emmerder les gens.

Non je me plais chez moi, y'a pas une chose qui me plaît plus.

Après avoir été cinquante huit ans domestique, vous croyez qu'on est pas content d'être chez soi, vous ?

Dites, c'est pas rien que d'servir les autres comme ça tout le temps.

Et la soumission ?

Et, là, j'en ai plus de soumission, je fais ce que je veux.

  _Que faites-vous, seule entre vos quatre murs ?

  _Ce que je fais ?

Bon sang, aijourd'hui y'a un peintre qui travaille là-bas, y m'a demandé d'y racommoder ses culottes, parce que sa femme n'a pas le temps, elle travaille, alors j'ai dit, apportez-la, et voilà.

Je couds, je raccommode pour les autres, et je ne me fais point payer.

Pour moi, c'est une joie de rendre service.

Ce matin, j'ai une voisine qu'est infirme, j'ai été y commander son charbon.

Mais tant que d'aller voisiner, cancaner, non, non, et non.

Je me demande pourquoi on dit qu'y sont à plaindre les vieux.

On n'est pas des malheureux, monsieur, avec notre petite retraite que mon cousin Giscard y nous donne.

  _Vous avez combien pour vivre tous les mois ?

  _J'ai cent cinquante mille...

  _Par mois ?

_ Ah non, tous les trois mois.

  _Avec cinquante mille francs par mois on ne peut pas vivre.

  _Moi si, je vis, je ne bois pas de vin, je ne mange pas de viande tous les jours parce que ça donne de la tension, mais je ne suis pas maigre, hein, j'ai pas la figure d'une malheureuse.

Je suis très économe, je sais m'arranger.

En surplus de ça, je touche cinquante six mille francs de l'I.R.C.E.L, c'est-à-dire des gens de maison.

  _Tous les combien, tous les mois ?

  _ Ah, vous dites toujours tous les mois, vous autres, on voit bien que vous gagnez d'l'argent à n'rin faire.

Donnez-moi donc votre mois, pis moi je vous donnerai ce que j'ai...

Ah, y n'fera pas l'garçon, y n'donnera pas une robe à sa femme !

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